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psychologique. William James se trouvait en Californie lors du terrible
tremblement de terre d'avril 1906, qui détruisit une partie de San Francisco.
Voici la bien imparfaite traduction des pages vraiment intraduisibles qu'il
écrivit à ce sujet :
Quand je quittai Harvard pour l'Université Stanford en décembre le dernier « au
revoir», ou peu s'en faut, fut celui de mon vieil ami B***, californien : « J'espère, me
dit-il, qu'ils vous donneront aussi un petit bout de tremblement de terre pendant que
vous serez là-bas, de façon que vous fassiez connaissance avec cette toute
particulière institution californienne.»
En conséquence, lorsque, couché encore mais éveillé, vers cinq heures et demie
du matin, le 18 avril, dans mon petit appartement de la cité universitaire de Stanford,
je m'aperçus que mon lit commençait à osciller, mon premier sentiment fut de
reconnaître joyeusement la signification du mouvement « Tiens, tiens ! me dis-je,
mais c'est ce vieux tremblement de terre de B***. Il est donc venu tout de même ? »
Puis, comme il allait crescendo : « Par exemple, pour un tremblement de terre, c'en
est un qui se porte bien ! ... »
Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion (1932) 83
Toute l'affaire ne dura pas plus de 48 secondes, comme l'observatoire Lick nous
le fit savoir plus tard. C'est à peu près ce qu'elle me parut durer ; d'autres crurent
l'intervalle plus long. Dans mon cas, sensation et émotion furent si fortes qu'il ne put
tenir que peu de pensée, et nulle réflexion, nulle volition, dans le peu de temps
qu'occupa le phénomène.
Mon émotion était tout entière allégresse et admiration : allégresse devant
l'intensité de vie qu'une idée abstraite, une pure combinaison verbale comme«
tremblement de terre» pouvait prendre, une fois traduite en réalité sensible et
devenue l'objet d'une vérification concrète ; admiration devant le fait qu'une frêle
petite maison de bois pût tenir, en dépit d'une telle secousse. Pas l'ombre d'une peur ;
simplement un plaisir extrême, avec souhaits de bienvenue.
Je criais presque : « Mais vas-y donc ! et vas-y plus fort »
Dès que je pus penser, je discernai rétrospectivement certaines modalités toutes
particulières dans l'accueil que ma conscience avait fait au phénomène. C'était chose
spontanée et, pour ainsi dire, inévitable et irrésistible.
D'abord, je personnifiais le tremblement de terre en une entité permanente et
individuelle. C'était le tremblement de terre de la prédiction de mon ami B***,
tremblement qui s'était tenu tranquille, qui s'était retenu pendant tous les mois
intermédiaires, pour enfin, en cette mémorable matinée d'avril, envahir ma chambre
et s'affirmer d'autant plus énergiquement et triomphalement. De plus, c'est à moi qu'il
venait en droite ligne. Il se glissait à l'intérieur, derrière mon dos ; et mie fois dans la
chambre, il m'avait pour lui tout seul, pouvant ainsi se manifester de façon
convaincante. Jamais animation et intention ne frirent plus présentes à une action
humaine. Jamais, non plus, activité humaine ne fit voir plus nettement derrière elle,
comme source et comme origine, un agent vivant.
Tous ceux que j'interrogeai là-dessus se trouvèrent d'ailleurs d'accord sur cet
aspect de leur expérience :« Il affirmait une intention»,« Il était pervers », « Il s'était
mis en tête de détruire », « Il voulait montrer sa force», etc., etc. A moi, il voulait
simplement manifester la pleine signification de son nom. Mais qui était cet « il » ?
Pour quelques-uns, vraisemblablement, un vague pouvoir démoniaque. Pour moi, un
être individualisé, le tremblement de terre de B***.
Une des personnes qui me communiquèrent leurs impressions s'était crue à la fin
du monde, an commencement du jugement dernier. C'était une dame logée dans un
hôtel de San Francisco, à laquelle l'idée d'un tremblement de terre ne vint que
lorsqu'elle se fut trouvée dans la rue et qu'elle entendit donner cette explication. Elle
rue dit que son interprétation théologique l'avait préservée de la peur, et lui avait fait
prendre la secousse avec calme.
Pour « la science », quand des tensions de l'écorce terrestre atteignent le point de
rupture, et que des strates subissent une modification d'équilibre, le tremblement de
terre est tout simplement le nom collectif de tous les craquements, de toutes les
secousses, de toutes les perturbations qui se produisent. Ils sont le tremblement de
terre. Mais, pour moi, c'était le tremblement de terre qui était la cause des
perturbations, et la perception de ce tremblement comme d'un agent vivant était
irrésistible. Eue avait une force dramatique de conviction qui emportait tout.
Je vois mieux maintenant combien étaient inévitables les anciennes interpré-
tations mythologiques de catastrophes de ce genre, et combien sont artificielles, com-
ment vont en sens inverse de notre perception spontanée, les habitudes ultérieures
que la science imprime en nous par l'éducation. Il était simplement impossible à des
Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion (1932) 84
esprits inéduqués d'accueillir des impressions de tremblement de terre autrement que
comme des avertissements ou des sanctions surnaturels 1.
On remarquera d'abord que James parle du tremblement de terre comme
d'un« être individualisé » ; il constate que le tremblement de terre « se person-
nifie pour lui en une entité permanente et individuelle ». Mais il ne dit pas
qu'il y ait - dieu ou démon - une personnalité complète, capable d'actions
diverses, et dont le tremblement de terre serait une manifestation particulière.
Au contraire, l'entité dont il s'agit est le phénomène lui-même, considéré
comme permanent ; sa manifestation nous livre son essence elle a pour unique
fonction d'être tremblement de terre il y a une âme, mais qui est l'animation de
l'acte par son intention 2. Si l'auteur nous dit que « jamais activité humaine ne
fit voir plus nettement derrière elle un agent vivant », il entend par là que
l'intention et l' « animation » semblaient appartenir au tremblement de terre
comme appartiennent à un agent vivant, situé derrière eux, les actes que cet
agent accomplit. Mais que l'agent vivant soit ici le tremblement de terre lui-
même, qu'il n'ait pas d'autre activité, pas d'autre propriété, que ce qu'il est
coïncide par conséquent avec ce qu'il fait, tout le récit en témoigne. Une entité
de ce genre, dont l'être ne fait qu'un avec le paraître, qui se confond avec un
acte déterminé et dont l'intention est immanente à cet acte même, n'en étant
que le dessin et la signification consciente, est précisément ce que nous appe-
lions un élément de personnalité. Il y a maintenant un autre point dont on ne
manquera pas d'être frappé. Le tremblement de terre de San Francisco fut une
grande catastrophe. Mais à James, placé brusquement en face du danger, il
apparaît avec je ne sais quel air bonhomme, qui permet de le traiter avec fami-
liarité. « Tiens, tiens ! c'est ce vieux tremblement de terre. » Analogue avait
été l'impression des autres assistants. Le tremblement était « pervers » ; il
avait son idée, « il s'était mis en tête de détruire ». On parle ainsi d'un mauvais
garnement, avec lequel on n'a pas nécessairement rompu toute relation. La
crainte qui paralyse est celle qui naît de la pensée que des forces formidables
et aveugles sont prêtes à nous broyer inconsciemment. C'est ainsi que le
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