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Caroll avait bien souffert loin de sa Lucy, et Lucy avait bien pleuré loin de son Caroll, avant le jour
bienheureux qui les réunissait, pour désormais ne plus souffrir et pleurer qu'ensemble.
C'était en la sauvant d'un grand péril que Caroll avait enfin obtenu sa Lucy. Un jour il avait entendu des cris
dans un bois; c'était sa Lucy qu'un brigand, redouté de tous les montagnards, avait surprise et paraissait
vouloir enlever. Caroll attaqua hardiment ce monstre à face humaine, auquel le singulier rugissement qu'il
poussait comme une bête féroce avait fait donner le nom de Han. Oui, il attaqua celui que personne n'osait
attaquer; mais l'amour lui donnait des forces de lion. Il délivra sa bien-aimée Lucy, la rendit à son père, et le
père la lui donna.
Or tout le village fut joyeux le jour où l'on unit ces deux fiancés. Lucy, seule, paraissait sombre. Jamais
pourtant elle n'avait attaché un regard plus tendre sur son cher Caroll; mais ce regard était aussi triste que
tendre, et, dans la joie universelle, c'était un sujet d'étonnement. De moment en moment, plus le bonheur de
son ami semblait croître, plus ses yeux exprimaient de douleur et d'amour. O ma Lucy, lui dit Caroll après la
sainte cérémonie, la présence de ce brigand, qui est un malheur pour toute la contrée, aura donc été un
bonheur pour moi! On remarqua qu'elle secoua la tête et ne répondit rien.
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Han d'Islande
Le soir vint; on les laissa seuls dans leur chaumière neuve, et les danses et les jeux redoublèrent sur la place
du village, pour célébrer la félicité des deux époux.
Le lendemain matin, Caroll Stadt avait disparu; quelques mots de sa main furent remis au père de Lucy
Pelnyrh par un chasseur des monts de Kole, qui l'avait rencontré avant l'aube, errant sur les grèves du golfe.
Le vieux Will Pelnyrh montra ce papier au pasteur et au syndic, et il ne resta de la fête de la veille que
l'abattement et le morne désespoir de Lucy.
Cette catastrophe mystérieuse consterna tout le village, et l'on s'efforça vainement de l'expliquer. Des prières
pour l'âme de Caroll furent dites dans la même église où, quelques jours auparavant, lui-même avait chanté
des cantiques d'actions de grâces sur son bonheur. On ne sait ce qui retint à la vie la veuve Stadt. Au bout de
neuf mois de solitude et de deuil, elle mit au monde un fils, et, le jour même, le village de Golyn fut écrasé par
la chute du rocher pendant qui le dominait.
La naissance de ce fils ne dissipa point la douleur sombre de sa mère. Gill Stadt n'annonçait en rien qu'il dût
ressembler à Caroll. Son enfance farouche semblait promettre une vie plus farouche encore. Quelquefois un
petit homme sauvage dans lequel des montagnards qui l'avaient vu de loin affirmaient reconnaître le fameux
Han d'Islande venait dans la cabane déserte de la veuve de Caroll, et ceux qui passaient alors près de là en
entendaient sortir des plaintes de femme et des rugissements de tigre. L'homme emmenait le jeune Gill, et des
mois s'écoulaient; puis il le rendait à sa mère, plus sombre et plus effrayant encore.
La veuve Stadt avait pour cet enfant un mélange d'horreur et de tendresse. Quelquefois elle le serrait dans ses
bras de mère, comme le seul lien qui l'attachât encore à la vie; d'autres fois elle le repoussait avec épouvante
en appelant Caroll, son cher Caroll. Nul être au monde ne savait ce qui bouleversait son coeur.
Gill avait passé sa vingt-troisième année; il vit Guth Stersen, et l'aima avec fureur. Guth Stersen était riche, et
il était pauvre. Alors, il partit pour Roeraas afin de se faire mineur et de gagner de l'or. Depuis lors sa mère
n'en avait plus entendu parler.
Une nuit, assise devant le rouet qui la nourrissait, elle veillait, avec sa lampe à demi éteinte, dans sa cabane,
sous ces murs vieillis comme elle dans la solitude et le deuil, muets témoins de la mystérieuse nuit de ses
noces. Inquiète, elle pensait à son fils, dont la présence, si vivement désirée, allait lui rappeler, et peut-être lui
apporter bien des douleurs. Cette pauvre mère aimait son fils, tout ingrat qu'il était. Et comment ne
l'aurait-elle pas aimé? elle avait tant souffert pour lui!
Elle se leva, alla prendre au fond d'une vieille armoire un crucifix rouillé dans la poussière. Un moment elle le
considéra d'un oeil suppliant; puis tout à coup, le repoussant avec effroi: Prier! cria-t-elle; est-ce que je
puis prier? Tu n'as plus à prier que l'enfer, malheureuse! c'est à l'enfer que tu appartiens.
Elle retombait dans sa sombre rêverie, lorsqu'on frappa à la porte.
C'était un événement rare chez la veuve Stadt; car, depuis longues années, grâce à ce que sa vie offrait
d'extraordinaire, tout le village de Thoctree la croyait en commerce avec les esprits infernaux. Aussi nul
n'approchait de sa cabane. Étranges superstitions de ce siècle et de ce pays d'ignorance! elle devait au malheur
la même réputation de sorcellerie que le concierge du Spladgest devait à la science!
 Si c'était mon fils, si c'était Gill! s'écria-t-elle; et elle s'élança vers la porte.
Hélas! ce n'était pas son fils. C'était un petit ermite vêtu de bure, dont le capuchon rabattu ne laissait voir que
la barbe noire.
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Han d'Islande
 Saint homme, dit la veuve, que demandez-vous? Vous ne savez pas à quelle maison vous vous adressez.
 Si vraiment! répliqua l'ermite, d'une voix rauque et trop connue.
Et, arrachant ses gants, sa barbe noire et son capuchon, il découvrit un atroce visage, une barbe rousse et des
mains armées d'ongles hideux.
 Oh! cria la veuve, et elle cacha sa tête dans ses mains.
 Eh bien! dit le petit homme, est-ce que, depuis vingt-quatre ans, tu ne t'es pas encore habituée à voir
l'époux que tu dois contempler durant toute l'éternité?
Elle murmura avec épouvante: L'éternité!
 Écoute, Lucy Pelnyrh, je t'apporte des nouvelles de ton fils.
 De mon fils! où est-il? pourquoi ne vient-il pas?
 Il ne peut.
 Mais vous avez de ses nouvelles. Je vous rends grâces. Hélas! vous pouvez donc m'apporter du bonheur!
 C'est le bonheur en effet que je t'apporte, dit l'homme d'une voix sourde; car tu es une faible femme, et je
m'étonne que ton ventre ait pu porter un pareil fils. Réjouis-toi donc. Tu craignais que ton fils ne marchât sur
ma trace; ne crains plus rien.
 Quoi! s'écria la mère avec ravissement, mon fils, mon bien-aimé Gill est donc changé?
L'ermite regardait sa joie avec un rire funeste.
 Oh! bien changé! dit-il.
 Et pourquoi n'est-il pas accouru dans mes bras? Où l'avez-vous vu? que faisait-il?
 Il dormait.
La veuve, dans l'excès de sa joie, ne remarquait ni le regard sinistre, ni l'air horriblement railleur du petit
homme.
 Pourquoi ne l'avoir pas réveillé, ne lui avoir pas dit: Gill, viens voir ta mère?
 Son sommeil était profond.
 Oh! quand viendra-t-il? Apprenez-moi, je vous en supplie, si je le reverrai bientôt.
Le faux ermite tira de dessous sa robe une espèce de coupe d'une forme singulière.
 Eh bien! veuve, dit-il, bois au prochain retour de ton fils!
La veuve poussa un cri d'horreur. C'était un crâne humain. Elle fit un geste d'épouvante et ne put proférer une
parole.
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 Non, non! cria tout à coup l'homme avec une voix terrible, ne détourne pas les yeux, femme; regarde. Tu
demandes à revoir ton fils? Regarde, te dis-je! car voilà tout ce qui en reste.
Et, aux lueurs de la lampe rougeâtre, il présentait aux lèvres pâles de la mère le crâne nu et desséché de son
fils.
Trop de malheurs avaient passé sur cette âme pour qu'un malheur de plus la brisât. Elle éleva sur le farouche
ermite un regard fixe et stupide.
 Oh! la mort! dit-elle faiblement; la mort! laissez-moi mourir.
 Meurs si tu veux! Mais souviens-toi, Lucy Pelnyrh, du bois de Thoetree; souviens-toi du jour où le [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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